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« Elle met dans ce simple geste toute la délicatesse dont elle se sait capable quand elle est confrontée à la misère du monde, aux horreurs de la guerre ». C’est ainsi que pourrait être résumée la personnalité de Claire Mauriac, l’héroïne du roman d’Anne Wiazemsky, Mon enfant de Berlin. Car c’est effectivement le portrait d’une femme, sa mère, sensible à la douleur des hommes et courageuse devant les événements dramatiques de l’histoire que réalise ici la petit-fille de François Mauriac.
Claire est une jeune femme, belle, libre et enthousiaste, engagée dans la Croix-Rouge française pendant la Seconde guerre mondiale, d’abord dans le Sud de la France puis dans les décombres de la capitale allemande. Elle y fait beaucoup de rencontres, masculines notamment, mais surtout, elle est confrontée au drame de la guerre et de l’occupation puis de la survie lorsqu’elle arrive à Berlin. On la voit porter secours aux résistants du maquis, rapatrier les corps des fusillés, risquer sa vie pour sauver ceux qui se sont soulevés contre l’oppression nazie. Le roman nous rapporte son quotidien et ses états d’âme grâce aux nombreuses lettres qu’elle écrit à ses parents vivant à Paris et avec qui elle entretient une correspondance suivie. Claire est aussi une jeune femme torturée par ses tourments intérieurs notamment ceux du cœur et de l’amour. Elle cherche désespérément l’amour qu’elle pensait avoir trouvé en la personne de Patrice mais que le conflit a définitivement éloigné d’elle. Elle multiplie les conquêtes amoureuses car Claire est aussi une femme qui plait. Elle est chaleureuse, à l’écoute et empreinte d’une témérité sans faille. Son indépendance rend sa personnalité mystérieuse et farouche, ce qui attire les hommes qu’elle sait séduire sans artifices ni prétention. Mais sa volonté profonde d’être une femme libre se manifeste surtout dans son désir de s’affranchir de son milieu social. Elle veut exister face à son père François Mauriac, écrivain connu et admiré dans le milieu littéraire parisien, ne plus être prisonnière de son nom et de cette image qui place inexorablement sa personnalité en retrait. Claire veut exister par elle-même et c’est à Berlin qu’elle va s’épanouir et se délivrer de ce milieu familial qui l’étouffe. Plus précisément, c’est dans l’amour que cette liberté se concrétise enfin. Lorsqu’elle rencontre Yvan Wiazemsky, jeune prince russe désargenté, elle est heureuse de découvrir un homme étranger des salons et des discussions littéraires. Ce dernier, qui a vécu la guerre prisonnier des Allemands, est libéré par les Soviétiques en 1945 et travaille ensuite à la Division des personnes déplacées. Entre eux naît alors une histoire d’amour belle et passionnée qui donnera un enfant, symbole de paix et d’espoir au milieu des ruines d’une capitale mutilée.
Le roman commence à l’été 1944 et se termine en 1947 à Berlin. Une grande partie de l’oeuvre se situe donc dans le contexte tragique de la bataille de Berlin en 1945 et du drame vécu par la population allemande. Ainsi, le roman évoque la famine et la misère des Berlinois, les enfants nés de couples mixtes retirés aux mères éplorées et envoyés dans les orphelinats français, et ainsi, l’action très controversée de la Croix-Rouge, le sors tragique des Alsaciens considérés par les Soviétiques comme des traîtres. On découvre aussi la fraternisation des Alliés aussitôt avortée par les débuts de la Guerre Froide. Néanmoins, au fil des pages et à mesure que s’épanouit la relation de Claire et d’Yvan, le contexte s’efface de plus en plus pour laisser place presque exclusivement à l’histoire d’amour et aux déboires des deux protagonistes. On découvre alors une Claire plus attentive à ses passions du cœur qu’à la misère des rues, plus préoccupée de sa place au sein de sa famille que du sors bouleversant des Berlinoises martyrisées par le vainqueur soviétique. Au cœur de cette tragédie qui semble hélas, passer au second plan, c’est finalement Hilde, allemande chargée d’aider la Croix-Rouge à retrouver les personnes déplacées, qui, si elle apparaît furtivement dans l’histoire, devient la véritable héroïne du roman. Son calvaire, sommairement évoqué, nous rappelle celui de Marta Hillers, qui, dans Une femme à Berlin témoigne courageusement de son martyre terrifiant. La même froideur, la même distanciation et la même humilité face aux événements rapprochent ces deux femmes qui deviennent les portes paroles de milliers de femmes oubliées. Claire, elle, reste une jeune bourgeoise qui, désireuse de se démarquer de son nom de famille, ne peut se détacher de son environnement parisien. La distance géographique la rapproche même de ce milieu par l’intermédiaire des lettres. En témoigne, sa volonté farouche d’être aimée de ses parents et plus particulièrement de sa mère, l’admiration inconditionnelle qu’elle voue à son père, la nécessité incessante de paraître parfaite au milieu de sa famille et de ses amis, ce besoin qu’on devine aussi d’être le centre du petit cercle dans lequel elle évolue entre Paris et Berlin, le désir de réaliser un mariage parfait et la honte éprouvée face à la situation misérable de son futur mari, qui néanmoins, reste un aristocrate. Elle veut vivre loin de ce milieu tout en continuant à lui appartenir. Elle veut aider les autres et secourir la misère tout en continuant à penser à elle. Là est toute la contradiction d’un personnage certes magnanime, mais dont l’égocentrisme se substitue progressivement à l’action généreuse et masque le destin des vrais héros, les victimes.